jeudi 23 août 2007

La fracture RH : les PME laissées pour compte ?

La performance d’une entreprise passe par la performance individuelle et collective de ses salariés. La Gestion des Ressources Humaines (GRH) a comme objectif de mobiliser et de développer les compétences du personnel pour une plus grande efficacité de l’organisation. Les grandes entreprises l’ont bien compris, elles consacrent 3,5% de leur masse salariale au financement de la fonction Ressources Humaines[1]. C’est dans les PME, qui représentent la majorité du tissu économique français[2], que les relations sociales sont les plus intenses et les plus riches. Cependant, les pratiques de gestion nécessaires à leur implication et à leur valorisation stratégique sont très peu déployées. Pourquoi les PME se privent-elles, au travers d’une GRH adéquate, d’augmenter leur productivité et leur rentabilité ?

Edictées par les grands cabinets de conseil, les « best practices » RH ne sont généralement applicables que dans les grands groupes. Les solutions de GRH recommandées et les plans d’actions conseillés sont pour la plupart surdimensionnés et inadaptés à la majorité des TPE/PME. D’autant plus que la mise en oeuvre de ces pratiques RH haut de gamme nécessite des moyens humains et financiers démesurés pour les petites et moyennes entreprises.

Entre les PME et les grandes entreprises, la fracture RH se creuse. Les PME de moins de 300 salariés n’ont généralement pas la taille critique pour disposer d’une fonction RH clairement établie :
- 63% des PME n’ont pas de Directeur des Ressources Humaines[3] ;
- pour les 37% des PME qui dispose d’une personne en charge de la fonction RH, cette mission ne représente qu’une activité à temps partiel[4] !

Les pratiques de GRH dans les PME sont peu ou pas déployées, quels que soit les impacts financiers et les obligations légales. Dans 3 PME sur 10, par exemple, il n’y a aucun bilan annuel (entretien de progrès, d’objectifs ou d’évaluation), entre le collaborateur et son responsable[5]. Dans les 7 PME sur 10 qui ont mis en œuvre des entretiens annuels, 4 ne les formalisent pas du tout (aucune traçabilité de l’avis du collaborateur, de son responsable, des souhaits d’évolution ou besoins de formation, de la définition des objectifs annuels ou de l’atteinte de ceux-ci). L’entretien professionnel est une pratique managériale instaurée par l'Accord National Interprofessionnel applicable à toutes les entreprises dont les fédérations de branche adhèrent aux confédérations patronales MEDEF, CGPME ou UPA.

Le développement des compétences n’est pas mieux loti. La loi de 2004 relative à « la formation professionnelle tout au long de la vie » comprend notamment une obligation individuelle de formation (et non plus collective) qui se traduit par un Droit Individuel de Formation (DIF) de 20 heures par an à l’initiative du salarié (et non plus de l’employeur). Près d’un tiers des PME n’ont pas entendu parler de ce dispositif[6] et la grande majorité des PME n’a pas intégré cette contrainte légale dans leurs pratiques de gestion interne. Cette mesure, mal gérée, peut engendrer un surcoût de 1 000 euros par an et par salarié[7]. Avec des décisions de salariés imprévisibles et aléatoires, ce dispositif crée un passif social pouvant faire exploser le budget formation.

La plupart des PME ne se préoccupent de la gestion des hommes que ponctuellement, lors d’un recrutement, d’augmentations salariales, de contentieux individuels ou collectifs. Les PME concentrent leurs moyens humains et financiers sur leur cœur de métier et sur leurs problématiques opérationnelles. Une GRH adaptée nécessiterait des compétences et des expertises fort coûteuses à acquérir et à entretenir. D’autant plus que le déploiement de nouvelles pratiques de GRH auprès des salariés, et particulièrement leur appropriation par ces derniers, demande une implication « énergivore » de toute la ligne hiérarchique. Au regard de l’exigence légitime des PME quant au retour sur investissement, une fois mises en œuvre, ces pratiques de GRH doivent faire preuve de rationalité objective et générer des résultats rapides, tangibles et mesurables.

Les PME n’ont pas la puissance financière et les capacités d’investissement des grands groupes. Elles sont néanmoins « agiles » et réactives, s’appuyant sur la proximité dans les rapports hiérarchiques.

Dans les grandes entreprises, la GRH est organisée, dirigée et animée par le DRH. Il est assisté d’un service RH et d’entités plus ou moins décentralisées. Dans les petites et moyennes entreprises, c’est le plus souvent le dirigeant de l’entreprise qui assure cette mission. De sa conception de la fonction RH, d’une certaine croyance dans la contribution des RH à sa stratégie d’entreprise, dépendent le dynamisme des pratiques RH. Le dirigeant peut et doit compter sur le relais des managers opérationnels. Même s’ils ne maîtrisent que faiblement les techniques RH, ces derniers sont les acteurs de fait de la fonction RH. Ce sont eux qui relayent la vision du décideur, eux qui communiquent auprès des salariés, qui motivent les équipes sur le terrain, organisent le temps de travail au quotidien, évaluent les performances, gèrent les conflits.

Le décideur et les managers connaissent bien les hommes et les femmes qui composent l’entreprise, ils sont proches du terrain et des préoccupations sociales de leurs équipes. Cette proximité rend les pratiques de GRH plus opérationnelles et efficaces. La GRH se partageant avec tout acte de management, les PME sont plus aptes à adapter les comportements pour qu’ils concourent directement à la réalisation des objectifs de l’entreprise, dans une démarche pragmatique de productivité et d'amélioration du climat de travail.


L’investissement des PME dans des pratiques de GRH ad hoc conditionne leur rentabilité et leur capacité concurrentielle. C’est le levier stratégique -et non la variable d’ajustement des coûts- que les dirigeants de PME doivent actionner pour améliorer la productivité de leur entreprise.

L’augmentation induite de cette performance de l’entreprise permet en retour de développer les meilleures pratiques RH en PME et d’enclencher le cercle vertueux d’une GRH adaptée.

« Il n’est qu’un luxe véritable et c’est celui des relations humaines ». Saint Exupery.
[1] Etude Cegos, Edition 2003.
[2] Les entreprises de moins de 250 salariés représentent 99,4% des entreprises en France, Insee, 2004.
[3] Ce pourcentage concerne des PME avec un effectif relativement important, de 100 à 149 salariés. Le pourcentage de DRH chute avec la baisse de l’effectif. « Gestion des Ressources Humaines dans les PME », Henri MAHE de BOISLANDELLE, édition Economica, 1998.
[4] Dans ce cas, la part moyenne consacrée à la gestion du personnel ne représente que 40 à 60% du temps de travail.
[5] Etude SoftComputing, 2004.
[6] Etude IPSOS pour la CGPME, 2005.
[7] Le DIF d’Alain-Frédéric Fernandez, édition Dunod.